Tin Hinan (Sahara), reine-mère guerrière, fondatrice des Touareg, et muse des hommes bleus du désert

Si l’histoire des Touaregs est intimement liée au désert, elle l’est aussi grâce au rôle essentiel joué par la femme. Tin Hinan, selon la Tradition Orale des Touaregs nobles du Hoggar signifie en Tamachek « celle qui vient de loin », princesse issue de la tribu des Berâbers (berbères) du Tafilatet (Sud Est du Maroc actuel).

Tin Hinan est décrite à travers les récits et les chants véhiculés par ses descendants, les hommes du désert, comme une femme irrésistiblement belle et d’une grande autorité qui prit les armes pour défendre son peuple et les idéaux de son pays au IVè/Vè siècle. Tin Hinan est décrite comme la mère des touaregs du Hoggar ; cependant d’autres récits font descendre tous les touaregs d’une femme unique, nommée Lemtoûna. Certaines autres tribus donnent encore d’autres noms à celles dont ils font leurs ancêtres tribales, respectives.

Vidéo : Tin Hinan, chantée par Abderahman Djalti  https://www.youtube.com/watch?v=DHIAbnc93JE

Les femmes, maîtresse de la lignée

D’après la Tradition Orale Touarègue, c’est la descendance féminine que l’on retient du fait du statut de la femme dans les sociétés touarègues. Tin-Hinan aurait donc eu trois filles : Tinert, l’antilope, ancêtre des Inemba ; Tahenkot, la gazelle, ancêtre des Kel Rela et Tamérouelt, la hase, ancêtre des Iboglân. De son côté Takamat, la servante, aurait eu, quant à elle, deux filles qui bénéficièrent en cadeau de l’Amenokal, la Reine Tin Hinan, la partie de la région qui possédait les plus belles palmeraies, partie dont héritent toujours aujourd’hui les descendants des filles de Takamat.

Vidéo : Le mausolée de Tin Hinan près de Tamanrasset: https://www.youtube.com/watch?v=iDy6-dtAi8U

Les femmes choisissent les chefs et transmettent la culture

Le régime touareg étant matriarcal dans la vie sociopolitique et socio-culturelle, la femme targuie du Hoggar est celle par qui se transmet l’Amenokal [élection du chef traditionnel par les sages de la Tribu et choisi parmi les familles nobles selon des critères moraux]. L’Amenokal est le chef de guerre, il détient le Tobol (tambour de guerre), symbole de son pouvoir. La femme targuie est celle qui véhicule l’essence de sa culture. Effectivement, ce sont les mères qui enseignent à leurs filles l’écriture du Tifinagh et l’art de l’imzad. Le Tifinagh est une écriture que l’on retrouve ici et là, gravée sur des pierres, composée de, signes- bâtons (des jambes d’animaux ?) et d’idéogrammes ronds (visages, soleil, astres ?) ; servaient-ils de repères pour marquer les routes du désert ? Le mystère n’est toujours pas élucidé… L’imzad est cet instrument monocorde joué exclusivement par des femmes artistes et qui fait partie des reliques de la splendeur touarègue, de ses pratiques guerrières traditionnelles et qui place et valorise le rôle de la femme comme pilier central de la communauté.

Pour échapper à Rome et à son christianisme

Suivant leurs convictions politiques, Tin Hinan ainsi que d’autres tribus berbères durent quitter leur région natale. En effet, au IVè/Vè siècle, le nord de l’Afrique, et particulièrement la Numidie (nom sûrement tiré du mot « Nomade »), est dominé par la puissance romaine qui a adopté la religion chrétienne à laquelle s’est converti l’empereur Constantin. Cette région est alors le théâtre de révoltes contre le pouvoir romain. Les diverses tribus oscillent entre la côte méditerranéenne et les régions du sud emportant des produits divers mais surtout des informations relatives à la géopolitique de la Numidie. Tin Hinan, quant à elle dut quitter les siens pour se rendre dans le Hoggar.

La fuite dans le désert

Ne souhaitant pas céder devant l’envahisseur, Tin Hinan, accompagnée de sa fidèle suivante Takamat et son guide Mehawa, forme une caravane chargée de quelques vivres avec leur chameau de Bât –monture de prédilection des nomades – et peut-être quelques moutons et chèvres… Ils avancent alors périlleusement vers le haut massif du Sahara algérien, ce désert brûlant n’était certainement pas aussi aride qu’il l’est aujourd’hui, cependant le Sahara (qui signifie « Fauve » en arabe) était tout de même long et parsemé d’embûches où l’on pouvait y rencontrer occasionnellement chasseurs et pilleurs. Certains récits racontent que Tin Hinan aurait perdu son chameau de Bât emporté par le vent au cours d’une tempête de sable et qu’affrontant la faim, la soif et la tempête, elle dut avec ses compagnons faire une halte dans une grotte où elle fit un songe au cours duquel l’ancêtre mythique lui révèle une partie de son avenir.

L’Arrivée dans le Hoggar

L’on suppose aisément que Tin Hinan ait emprunté la célèbre « route des chars » que l’on voit illustrée dans les peintures rupestres du Sahara, ce chemin juché de mares, de puisards ou de oueds (rivières) permettait en effet de fournir la denrée rare et vitale qu’était l’eau, comme le dit un dicton touareg : « Am- Man Iman », « l’Eau, c’est l’Ame ». Les journées étant longues et rudes, la venue de la nuit est accueillie telle une bénédiction, on en profite pour faire pâturer les bêtes, manger et dresser sa tente. Tin Hinan connaît bien le ciel et consulte alors les étoiles principales pour trouver sa direction du lendemain.

La caravane repart alors et parcourt montagnes et vallées pour gagner enfin une magnifique région : l’Oasis d’Abalessa, capitale du Hoggar (près de Tamanrasset). Plusieurs historiens affirment que Tin Hinan et ses compagnons n’ont pas eu besoin de se battre pour conquérir et profiter de ce territoire. En effet, il était devenu pratiquement inhabité alors, qu’autrefois il fut très peuplé par les Isebeten, peuple ayant quasiment disparu déjà à l’époque de Tin Hinan. Cependant elle y rencontre le peuple Kel Ahaggar, survivant de cette région, dont le roi l’Amenokal Ag Aumeris vient de mourir.

La Descendance de Tin Hinan est désormais bien installée dans cette nouvelle contrée. Sa beauté et sa force ne laisse personne indifférent, l’on raconte que parmi les nombreux prétendants, deux hommes en particulier vont être mis en avant par les événements : Amastan et Amayas. Tin Hinan s’entend très bien avec Amastan, et de ce rapprochement naît alors une passion qui rendra jalouse la fille du défunt Amenokal. Cette dernière tentera de détruire leur relation et de reconquérir Amastan pour régner à ses côtés. Entre Amastan et Amayas, la jalousie gagne du terrain et bientôt la mésentente – due entre autres à la condamnation à mort de Chikka, le frère d’Amayas pour avoir bafoué les lois de l’hospitalité – les conduit à la confrontation. Dans l’esprit de courage, de bravoure et de paix qui la caractérise, Tin Hinan sort victorieuse du combat qui l’opposait à Amayas, et rétablit l’ordre et la réconciliation au sein des différentes tribus de l’Hoggar. C’est ainsi qu’avec Amastan, ils obtiennent le fameux symbole de l’autorité suprême, le tambour Tobol, et règnent sur les tribus du désert, les touaregs.

La tombe de Tin Hinan

En 1925, à Abalessa, dans le Hoggar, des archéologues sous la mission de M. Reygasse, découvrent la tombe d’une femme. D’après leur description, le squelette était très bien conservé, reposait sur un lit sculpté et portait des bracelets d’or et d’argent ; autour de cette femme étaient éparpillées des perles en cornaline, agate et amazonite. Les archéologues, découvrent également une écuelle de bois portant la trace d’une pièce à l’effigie de l’empereur Constantin ainsi qu’un mobilier funéraire. Ces objets ainsi que le mobilier témoignent des relations qui se sont nouées jadis entre les habitants de l’oasis d’Abalessa et les voyageurs venus de l’Orient. Tin-Hinan a donc été capable, non seulement de faire ce voyage à travers le Sahara mais aussi de créer les conditions de vie dans les lieux et de tisser des relations commerciales nécessaires à l’enrichissement de sa descendance. Bien que l’avis tous les touaregs ne convergent pas vers cette thèse, les archéologues aboutissent à la conclusion que cette tombe, qu’ils situent entre le IVè et Vè siècle, est bel et bien celle de la reine Tin Hinan. Le corps de cette ancêtre touarègue devenue attraction touristique, repose, aujourd’hui au Musée du Bardo à Algers.

La muse des hommes bleus

Il est très difficile au-delà des traditions orales touarègues de trouver des informations sur la vie et l’existence de la reine Tin Hinan dans les ouvrages scientifiques et historiques modernes. D’aucuns diront que l’histoire de Tin Hinan est un mythe, les hommes du désert, eux, considèrent qu’elle est devenue un mythe de par sa grandeur, l’héritage maternel et symbolique qu’elle transmet au peuple touareg. Elle reste cependant la plus grande source d’inspiration et la matrice incontestée des histoires, poésies, chants et récits transmis au sein des différentes tribus touarègues. Tin Hinan reste donc une reine réelle de légende qui préfigure la femme moderne, capable de créer la vie, de transmettre une culture, de pacifier les relations entre les peuples et de gérer le bien public. Elle inspira également beaucoup de romanciers occidentaux à l’instar de Pierre Benoît qui, se basant sur les récits authentiques des touaregs, recueillis par le père de Foucault (celui-ci vécut en ermite à Tamanrasset au début du XXe siècle), écrivit le roman L’Atlantide (publié en 1920), dans lequel il met en scène un jeune militaire rencontrant Antinea, une femme énigmatique qui règne sur le Hoggar….. Vous l’aurez compris, pour connaître la véritable histoire de la reine des Touaregs, il faut écouter les murmures des poètes, musiciens et conteurs berbères qui parcourent les dunes désertiques et mystérieuses du Sahara du Tafilatet au Hoggar…

Poème touareg

Tin-HinanJ’ai pris ma longe et ma cravache au cuir tanné,
et, voulant fuir ce lieu avant la fin du jour, j’ai saisi mon chameau.
Jusqu’à ce que s’apaise le vent d’après l’orage, il avait pâturé en un lieu agréable,
où l’herbe d’Emshéken était entremêlée de pousses d’Amämmän.
J’ai attaché ma selle ornée d’embouts de cuivre, qu’a fabriqué pour moi un artisan habile,
douce pour la monture et pour le méhariste…
 Chantez, choristes, chantez pour les jeunes gens !
l’antimoine enténèbre ses paupières déjà si sombres, elle a rehaussé ses sourcils,
elle a orné ses joues de taches claires, pareilles aux Pléiades,
Gaïsha, la chanteuse, que se passe-t-il ?
Frappe des mains plus ardemment, frappe le tambourin !

Par Sabrina Ben Mansour, rédactrice pour RHA-Magazine.

Source : Reines et héroïnes d’Afrique